Il faut protéger nos prisonniers

2/1945 ?

 

Les prisonniers sont protégés, comme chacun le sait, par la Convention de La Haye. Au reste, l'Allemagne l'a tellement invoquée, cette Convention, que vraiment nul ne peut plus l'ignorer.  Mais il est deux façons d'appliquer un texte. L'une qui consiste à s'inspirer de son esprit et à le comprendre largement. L'autre à s'en servir pour faire tout ce qu'il n'interdit pas explicitement. Et comme un texte ne peut pas tout prévoir, la marge est en général assez large. Inutile d'ajouter que l'Allemagne use de cette seconde méthode.

En réalité, ce qui règle le statut des prisonniers, beaucoup plus qu'une convention déjà ancienne, c'est un certain rapport de force et des règles de réciprocité. Normalement, les belligérants ont entre eux le moyen de marchander le sort de leurs prisonniers. Par l'intermédiaire des États neutres, ils négocient ce statut.

Or, il se passe pour la France un drame : elle n'a pas cette possibilité de négocier. Les Allemands s'y refusent sous le prétexte juridique qu'ils ne connaissent que le Gouvernement fantôme du maréchal Pétain. Surtout la France ne détient pas, au moins en nombre appréciable, de prisonniers allemands. Elle ne dispose pas de moyens de pression pour forcer le Reich à respecter ses prisonniers et à leur accorder un statut suffisamment large.

Les faits sont là. Les prisonniers alliés disposent d'un statut extrêmement supérieur à celui des nôtres. Ils reçoivent des colis en nombre pratiquement illimité. Ils ont de larges facilités de correspondance. Ces deux points suffisent déjà à mesurer  la différence de traitement. Par ailleurs, nous entendons fréquemment parler d'échanges entre prisonniers anglo-saxons et allemands. Nous ne bénéficions pas de ces échanges mêmes pour nos grands malades.

Et encore, nos prisonniers de guerre sont relativement respectés. La Convention de La Haye, même exsangue et dépouillée de son esprit, les protège encore. Mais nos déportés politiques ! Les nouvelles que nous apprenons sont atroces. On voudrait les taire, pour épargner leurs familles. Et pourtant, en avons-nous le droit ? Il faut que le monde entier sache jusqu'où va le sadisme des Allemands. Je n'en donnerai qu'un exemple, un seul, mais il suffit à tout peindre. Dans ce camp, dont à dessein je tairai le nom, chaque matin vingt ou trente prisonniers sont pendus devant tous leurs camarades rassemblés : interdiction bien entendu de tourner la tête ou de fermer les yeux. Et comme ce ne serait pas suffisant pour assouvir le sadisme des Allemands, pendant l'exécution joue une fanfare composée de prisonniers du camp...

Les faits sont là, disions-nous. Mais il est un autre fait, et qu'il ne faudrait pas oublier. Nos prisonniers sont été capturés dans une guerre entreprise autant pour la défense de nos alliés que pour la nôtre propre. Ils ont été capturés dans la même guerre que les leurs. Ils luttaient pour le même idéal. Et ces déportés ? Combien sont là pour avoir abrité des parachutistes anglais, pour avoir participé aux services de renseignements de nos alliés, pour les avoir directement aidés ?

Alors vraiment, ne pourrait-on pas considérer que tous les prisonniers et déportés à quelque État de la coalition qu'ils appartiennent, ne forment qu'un bloc ? Et nos alliés ne peuvent-ils pas les protéger au même titre que leurs ressortissants ? Nous ne sommes sans doute pas très subtils, mais nous ne comprenons pas qu'entre frères d'armes existent de telles différences. Tous les prisonniers n'ont-ils pas droit à la même sollicitude de ceux pour qui ils ont combattu ?

Nous savons que nos alliés nous entendrons.

 

« La  France a son mot à dire »